La monnaie des comptoirs de l’Inde française (Pondichéry)

Une puissance coloniale est un Etat qui envoie dans un autre pays, une réunion de personnes – femmes, hommes et enfants – afin d’y établir une présence pérenne et autonome, une colonie de peuplement, et d’y bâtir une société. Cette nouvelle société s’épanouit et se développe en particulier grâce à l’agriculture, à la chasse et au commerce.

La colonie de peuplement (Canada français) est différente du comptoir commercial colonial (Inde française) dont le but n’est pas de peupler, mais de faire des échanges commerciaux avec les commerçants locaux.

Monnayage colonial est le nom donné aux monnaies émises dans et pour ces territoires soumis à une métropole, à une puissance coloniale. La numismatique coloniale française couvre trois siècles d’histoire et un très vaste espace géographique.

Les comptoirs coloniaux français de l’Inde sont formés de l’ensemble des territoires et des bureaux généraux de commerce établis en différentes localités, que la France a maintenu dans la péninsule indienne jusqu’au milieu du XXe siècle.

À la fin du XVIe siècle, deux évènements vont révolutionner l’Occident et son commerce maritime : la découverte de l’Amérique et la découverte de la route des Indes qui avaient auparavant apporté beaucoup au niveau économique pendant l’Antiquité. C’est bien le commerce qui garantira le contact entre l’Orient et l’Occident, bien qu’il ne soit pas encore question de colonies, mais plutôt de rêve et de convoitises liés aux richesses inestimables relatées dans les récits des voyageurs, poussant même les Européens à braver l’inhospitalité maritime de la côte du Coromandel.

Cet attrait pour la richesse de l’Inde est source de nombreux conflits entre membres de l’Europe qui veulent s’approprier le contrôle des routes maritimes et des comptoirs, qui deviendront très vite des bastions fortifiés. Ce sont les Anglais qui finalement au XIXe siècle arriveront à asseoir leur domination, après les Portugais, les Hollandais, les Danois, les Suédois. Les Français n’obtiendront le contrôle que tardivement après de nombreux échecs.

Comptoirs, compagnies de commerce et monnayages coloniaux

En France, les comptoirs se développent aux XVIIe et XVIIIe siècles, notamment en Afrique occidentale pour la traite des Noirs et le commerce du coton, et en Inde (Pondichéry et Chandernagor) pour les indiennes de coton et les épices. Des comptoirs sont créés également en Amérique du Nord (par exemple, Tadoussac au Québec pour les fourrures et la morue).

Le comptoir colonial

C’est une structure coloniale à vocation commerciale permettant au pays qui le contrôle de s’assurer un approvisionnement en ressources provenant des régions environnantes. Ces mêmes régions peuvent en échange acquérir des produits provenant du pays contrôlant le comptoir. Le principe du comptoir est que le pays qui le contrôle exclut le peuplement ou le contrôle politique direct des régions avec lesquels le commerce est réalisé, son but étant de faciliter le commerce en permettant le développement d’infrastructures locales : routes, voies ferrées, ports, habitations, infrastructures d’entretien des navires, banques, correspondant à la technologie et aux standards du pays qui le contrôle.

Les pays qui contrôlent ces comptoirs acquièrent ainsi la capacité d’accéder directement aux matières premières ou autres produits introuvables chez eux comme l’or, le caoutchouc, les épices, etc. Historiquement, les comptoirs sont aussi les lieux de départ du commerce des esclaves, notamment en Afrique subsaharienne.

Étant organisés par un seul pays, les échanges métropole/colonies sont monopolistiques – en général opérés par une seule grande compagnie commerciale – et protectionnistes, les prix n’étant pas fixés sur la base d’un échange concurrentiel, le tout au bénéfice exclusif du pays possédant le comptoir. En raison de leur intérêt commercial, les comptoirs sont souvent l’objet d’attaque ou d’invasion par des puissances concurrentes cherchant à prendre le contrôle du commerce régional.

Certains comptoirs restent des lieux d’échange commerciaux mais d’autres sont une étape avant la colonisation complète des régions avoisinantes, comme le fit la France en Afrique.

Les compagnies de commerce

Elles s’occupent des échanges commerciaux et s’inscrivent au départ dans le système de John LAW, contrôleur général des Finances, qui voulait utiliser la mise en valeur de la Louisiane pour créer un système bancaire moderne avec du papier monnaie. Le système s’effondrera en décembre 1720. Law s’enfuira, les petits porteurs seront ruinés, la fabrication du billet sera abandonnée et la livre d’argent démonétisée en décembre pour 20 sous tournois après avoir valu 30 sols en avril.

En août 1664 est fondée la première Compagnie française des Indes Orientales (CIO) avec monopole exclusif pendant cinquante ans du commerce au-delà du cap de Bonne-Espérance dans l’Océan Indien et le Pacifique. Dotée d’importants privilèges financiers, elle doit créer dans l’île Dauphine (Madagascar) une colonie de peuplement et établir des comptoirs dans les Indes. Des établissements (Pondichéry et Chandernagor) y sont en effet fondés, mais le projet de peuplement de Madagascar n’aboutit pas. La CIO perd son privilège en 1682 mais garde son monopole de pavillon dans l’île.

La Compagnie française des Indes orientales, imaginée par Colbert, est créée par une déclaration royale de Louis XIV, enregistrée par le Parlement de Paris et complétée par des statuts qui en font une manufacture royale avec tous les privilèges associés, en particulier exemption de taxes, monopole exclusif du commerce dans l’hémisphère oriental, garantie sur trésor royal, pouvoir de nommer des ambassadeurs, de déclarer la guerre et de conclure des traités. Elle est dotée d’un capital initial de 8,8 millions de livres.

En 1720, à Paris, est frappée une monnaie française d’argent fin de 3,74 g équivalent à une livre tournois : une Livre dite de la Compagnie française des Indes.

En 1785, une nouvelle Compagnie des Indes Orientales est créée avec monopole commercial pour l’Inde, l’Indochine et la Chine. Elle prospère vite mais une des premières mesures révolutionnaires sera de décider sa suppression en 1790.

Les monnayages coloniaux

Ils sont nombreux et variés, en fonction de plusieurs éléments : le type de circulation monétaire, la culture monétaire de la puissance coloniale et la tradition monétaire locale. La circulation monétaire dans une colonie s’effectue sur trois niveaux : échanges entre colons, échanges entre colons et autochtones, échanges entre autochtones (ce dernier niveau tend à disparaître en raison de la fiscalisation progressive des échanges).

Les monnayages coloniaux présentent des différences importantes selon que les colonies sont des régions disposant d’une tradition monétaire locale forte, représentée par des espèces monétaires particulières et des pratiques monétaires anciennes (Inde) ou que se sont des régions sans économie monétarisée ou bien des zones où la monnaie traditionnelle est considérée comme trop primitive par les Européens.

On distingue donc deux types de zones : une zone sans tradition monétaire (Canada…) et une zone avec une vielle tradition monétaire (Inde…). Le grand Moghol d’Inde autorise les Français à battre monnaie, mais ils doivent copier les monnaies du pays où est implanté le comptoir. Le titre transmissible de nabab (prince) est donné au directeur du comptoir.

Les directeurs de comptoirs (gouverneurs) étaient considérablement riches et montraient de nombreux signes extérieurs de richesse d’où l’utilisation actuelle du mot « nabab » : homme riche qui fait étalage de ses richesses.

Le comptoir de Pondichéry connaît un essor spectaculaire

Dès la fin du XVe siècle, les Indes attirent les conquérants et les négociants européens ; Vasco de Gama et les premiers Portugais ont débarqué à Goa.

Les Britanniques ont suivi leurs traces dès 1600 en créant la « East India Trading Company » (EIC). Les Hollandais avec la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC), créée le 20 mars 1602, font des affaires en or. Le royaume de France ne compte pas être en reste.

Dès 1659, Colbert au service du roi Louis XIV est très attentif à la question du textile.

Il s’est intéressé aux efforts de ses prédécesseurs à l’époque d’Henri IV, pour développer la culture de la soie. Il sait que la communauté arménienne de Marseille, par ses liens avec l’Orient, importe des indiennes : ces cotonnades légères et fines qui plaisent par leurs couleurs gaies.

Une indienne de coton

Les indiennes de coton sont un enjeu important pour Colbert. La Compagnie française des Indes orientales (CIO) vise d’abord cette activité, alors que le commerce du poivre est dominé par la compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC).

Lorsque la CIO prend son essor, de Pondichéry et Calcutta, 8 à 10 vaisseaux chargés de tissus arrivent annuellement à Lorient, port important dans l’histoire des indiennes de coton en Europe.

En 1669, Colbert crée le port franc (suppression des frais de douanes) de Marseille où des Arméniens s’installent à sa demande, pour apprendre aux Marseillais à peindre les cotonnades et à les approvisionner. En 1685, un édit interdira aux marchandises du Levant d’entrer dans le royaume par un autre port que Marseille qui se retrouvera ainsi en situation de monopole.

En 1673, le vaste empire de Louis XIV s’étend considérablement avec le comptoir de Chandernagor et l’achat par un militaire français pour le compte de la jeune compagnie française des Indes orientales, d’un village côtier du nom de Puducherry, en anglais Pondicherry puis Pondichéry.

Autour de la ville de Pondichéry, s’étendent les ruines d’Arikamedu, ville archéologique dont le port servait au commerce avec l’Empire Romain : l’Inde exportait de la soie, des épices, même des oiseaux, des lions, des éléphants en échange de l’or.

Pondichéry est une simple petite bourgade de pêcheurs, mais la zone est favorable pour le commerce car la proche embouchure d’une rivière permet de pénétrer aisément à l’intérieur du pays et les tisserands sont nombreux dans la région.

Sher Khan Lodi, gouverneur de la région au nom du sultan de Bijapur, effectue la transaction avec les Français car il veut casser le monopole arrogant de la compagnie hollandaise (VOC).

Pondichéry sert d’abord de point d’appui pour ravitailler les troupes de l’escadre française (escadre de Perse) partie pour les Indes orientales à la fin du XVIIe siècle. L’escadre assiégée près de Madras, en 1674, par les Hollandais et le sultan de Golconde, capitule. Elle est rapatriée en Europe, mais quelques dizaines de Français groupés autour de François Martin demeurent à Pondichéry.

Cette bourgade deviendra le principal comptoir français en Inde devant Chandernagor et devant les comptoirs qui seront créés sous le règne de Louis XV : Mahé, 1721, Yanaon, 1723, Karikal, 1738.

Diverses « loges » dans plusieurs villes (Balasore, Cassimbazar, Yougdia, Dacca, Patna, Masulipatam Calicut, Surate…), des « factoreries » (villages de tisserands où l’on blanchit les toiles transformées à partir des matières premières produites autour du village) et quelques « terrains » viendront s’ajouter à ces comptoirs.

Loges : lieux de commerce français, parfois simples entrepôts, installés dans des petites localités de l’Inde peu peuplées. La France possédait 12 Loges en Inde occupant au total 4 km² avec 2 000 habitants.

Afin de ne pas déstabiliser l’économie locale, le monnayage colonial français va s’inspirer du monnayage de la région qui est une zone de vieille tradition monétaire.

Le monnayage indien local est constitué de la pagode d’or et de la roupie d’argent.

De nombreuses pièces sont frappées en Inde française pour ces comptoirs : des pagodes d’or, des roupies d’argent, des doubles fanons (argent, 2,92 g, 14mm), des fanons (argent, 1,45 g, 13 mm), des ½ fanons en argent (0,76g, 9 mm), des 4 royalins (argent, 2,80g, 14 à 15mm), des 2 royalins d’argent, des doudous, des ½ doudous (bronze, 2g à 2,5g, 11 à 15mm), des biches (bronze, 6, 43g, 19 mm), des ½ biches (bronze, 3,5 g, 13 à 14 mm), des ¼ de biches pour Mahé (bronze, 1,4 g, 10 à 11 mm) et des caches (bronze, 2g, 11 mm).

Le monnayage colonial français en Inde varie dans le temps :

Le fanon (forme française de fanam) est une monnaie d’argent des Indes françaises, frappée à Pondichéry et à Mahé au début du XVIIIe siècle. Le cours officiel du fanon est alors de 1/26e de pagode, mais le cours réel est de 1/32e.

Le fanon se décompose en 16 doudous ou 64 caches (cashs) ; il faut 7,5 fanons pour faire une roupie de Pondichéry (4 caches ou cashes (bronze) = 1 doudou (bronze) ; 16 doudous ou 15 biches (bronze) = 1 fanon/fanam (argent) = 2 royalins ; 26 fanons = 1 pagode d’or).

Le cours officiel du fanon est fixé à 1/24e de pagode en 1817. Le fanon vaut un huitième de roupie de Pondichéry ; en 1853, la valeur du fanon est fixée à 24 caches (8 fanons = 1 rupee/roupie de Pondichéry, 24 fanons = 1 pagode d’or, 1 fanon = 3 doudous, 1 fanon = 15 biches et 1 fanon = 24 caches).

Le doudou est une monnaie de bronze des Indes françaises, valant 4 caches ou un tiers de fanon. On a frappé des doudous et des demi-doudous à Pondichéry, qui portent une fleur de lis et le nom de l’atelier en tamoul, et à Karikal avec, en tamoul, Karikal au droit et Pondichéry au revers.

La Biche (de païsa) est une monnaie des Indes françaises frappée à Pondichéry et Mahé, et qui vaut un quinzième de fanon.

Le cache ou cash est une petite monnaie de bronze qui circule dans les territoires français des Indes.

Les gouverneurs de Pondichéry, acteurs de l’essor des comptoirs français

En 1685, François Martin est nommé « Directeur de la côte de Coromandel [Pondichéry, Karikal], Bengale [Chandernagor], et des lieux du Sud où la Compagnie porterait son commerce ». C’est lui qui, en posant les bases de la future prospérité du comptoir, sera le véritable fondateur de Pondichéry.

La défense du comptoir est une grande préoccupation des directeurs de la Compagnie française. Ils obtiennent assez rapidement le droit d’entretenir des troupes sur le sol indien. Elles sont peu nombreuses, quelques centaines d’hommes, mais grossies de plusieurs milliers d’Indiens encadrés et armés à l’européenne : les Cipayes.

De 1702 à 1704, ils remplacent le petit fort dit « barlong » par l’énorme fort Saint Louis, édifié sous la direction d’un ingénieur militaire et dont le plan est copié sur celui de Tournai, aménagé quelques années plus tôt par Deshoullières. C’est un ouvrage défensif considérable, considéré par les militaires indiens comme la meilleure citadelle européenne dans le pays.

Les frictions avec les Hollandais, implantés dans la région depuis bien plus longtemps que les Français, et la mort de Martin en 1706, ralentissent le développement de la ville, sauf sur le plan urbanistique, puisque ce sont les occupants hollandais qui donnent à Pondichéry, reconstruite par leurs soins de 1693 à 1700, son plan si exceptionnel en damier.

Il faut attendre la fin des guerres de Louis XIV et l’arrivée de Pierre-Christophe Lenoir en 1726 pour que les affaires reprennent. La ville s’embellit et voit fructifier les fruits de sa croissance.

La ville, qui se situe dans la tradition portugaise, combine port, factorerie et fort, et fait une distinction entre la « ville blanche », bien dessinée, et la « ville noire ». En bordure de mer, sur la dune la plus élevée, est édifié le fort, et de part et d’autre la « ville blanche ». Les Français sont attachés à l’urbanisme. Un officier note en 1730 : « Cette ville a beaucoup gagné, jadis les gens du pays construisaient leurs maisons en bois ou en terre ; M. [le gouverneur] Lenoir imposa de ne bâtir qu’en brique et de ne couvrir qu’en tuiles, et on construisit des maisons magnifiques et en quantité. »

La ville est rapidement réputée pour sa beauté, les bâtiments publics participant pour beaucoup à sa renommée. L’hôtel de la compagnie est un monument majestueux, rappelant les plus nobles édifices de la métropole, avec des toits en terrasse et des ailes en retour. Il en est de même de l’Hôtel de la monnaie et des églises, en particulier celle des Jésuites.

En 1735, Pondichéry est dirigée par Benoist Dumas. C’est une ville prospère de 100000 à 120000 habitants : chrétiens, musulmans, hindous. Les Européens sont fondamentalement minoritaires dans la ville, puisqu’ils ne seraient pas plus de 700 vers 1730.

Le territoire dominé par les Français autour de la ville est formé au milieu du XVIIIe siècle, de quatorze enclaves mal reliées entre elles car acquises au hasard des circonstances, mais totalisant une superficie de 29 000 hectares.

En 1738, le gouverneur Pierre-Benoît Dumas (1735-1741), un fin diplomate qui sera élevé au rang de nabab par le Grand Moghol, initie une campagne d’expansion des territoires français par la négociation. Il traite ainsi avec le râja Sahujî de Tanjore pour obtenir la zone de Karikal, la forteresse de Karakalcheri et cinq villages pour 40 000 chakras (petites monnaies en or sous forme de boules).

Karikal est un gros bourg de 5000 habitants au XVIIIe siècle qui présente un double avantage : il permet le ravitaillement de Pondichéry en riz et autres produits alimentaires grâce à sa position au coeur d’une région fertile et il abrite des tisserands réalisant les toiles bleues propres pour le commerce de la côte d’Afrique.

Les loges situées au nord de Pondichéry, à Mazulipatam et Yanaon sont de simples entrepôts pour l’achat des cotonnades. Pondichéry est aussi en relation beaucoup plus au nord (2 000 km) avec l’établissement français de Chandernagor. Ce petit comptoir (940 hectares) est très actif pour le commerce car il est situé sur un bras du delta du Gange, c’est-à-dire une grande voie navigable vers la très riche région du Bengale.

Le commerce est plus développé que jamais, avec la France mais aussi jusqu’en Extrême-Orient et en Chine, à tel point que cet essor commence à susciter l’envie des Britanniques, qui n’entendent pas partager leur puissance sur l’Inde asservie.

En 1742, un nouveau gouverneur, Joseph-François Dupleix, jeune homme ambitieux marié à une jolie métisse euro-indienne issue de l’aristocratie locale de Java, Jeanne Albert de Castro, est nommé gouverneur. C’est lui qui doit régler les retombées de la guerre de succession d’Autriche (1740-1748) opposant en Europe les Anglais et les Français. En 1748, pendant la guerre de Succession d’Autriche, Pondichéry est défendue avec brio par Dupleix qui résiste à un long siège anglais, terrestre et naval. Il faut préciser que toute la ville est entourée d’une enceinte fortifiée (construite de 1724 à 1747), précédée de bastions garnis d’une forte artillerie.

Dupleix : En hommage, à Paris, son nom est donné à une station de métro (ligne 6) ainsi qu’à une rue située dans le XVe arrondissement.

Dupleix mène Pondichéry à son firmament, en effet c’est sous son mandat, et grâce à lui, que Pondichéry connaît son apogée. Grâce à ses victoires militaires contre les Britanniques, il étend le territoire autour de la ville et dans le sud de l’Inde.

En 1746, les Français menés sur mer par La Bourdonnais (gouverneur de l’Ile-de-France) et sur terre par Dupleix, repoussent la flotte anglaise et s’emparent de Madras. Les Anglais contre-attaquent mais Dupleix réussit à garder Madras. Le grand comptoir anglais est cependant rendu à l’Angleterre en 1748, suite au Traité d’Aix-la-Chapelle, contre la restitution à la France de la forteresse de Louisbourg en Amérique.

La prospérité commerciale de la ville se poursuit plus que jamais après la guerre. Dupleix, qui dirige la ville depuis 1742, profite de l’éclatement de l’empire Mogol pour étendre l’influence française dans le sud de l’Inde.

Au fil du temps, les directeurs de la Compagnie ont réussi à se faire concéder par l’empereur moghol des droits considérables. Outre l’entretien d’une armée locale, ils peuvent percevoir tous les impôts déjà existants, de quelque nature qu’ils soient, c’est-à-dire les taxes foncières, douanières et autres contributions indirectes ; ils peuvent aussi en créer de nouveaux ; ils ont le droit d’exercer la politique et la justice, de battre monnaie, d’affermer les terres domaniales et ils ne sont soumis au contrôle d’aucun représentant du Mogol. On peut considérer qu’en 1750, Pondichéry qui vit sous l’autorité d’une compagnie active et sous le pavillon du roi de France, est une ville étrangère sur la côte indienne, face à l’autorité de plus en plus faible du pouvoir mogol.

Dans cette Inde aux richesses tant convoitées, Dupleix réalise combien la position des comptoirs demeure précaire tant qu’ils se limitent au commerce et se privent d’une assise locale plus solide. Sa politique, destinée à accroître l’influence française dans les affaires intérieures indiennes, porte rapidement ses fruits : Pondichéry devient une cité réputée et fastueuse où l’argent coule à flots. Les commerçants s’enrichissent, ce qui ne manque pas de provoquer la suspicion et la jalousie des élites commerçantes restées en France.

Dupleix exerce aussi une influence considérable dans les affaires des princes et souverains de la région.

Il met au service des princes indiens qui cherchent l’alliance française, les redoutables troupes de cipayes bien commandées par son adjoint Charles Joseph Patissier de Bussy-Castelnau.

L’essor de Pondichéry est donc spectaculaire, à l’image de tout le commerce colonial français depuis 1720. La Compagnie française des Indes est une affaire très rentable dont les progrès inquiètent de plus en plus sa rivale, la Compagnie anglaise des Indes orientales.

Pondichéry, un comptoir très convoité

Les rivalités entre la Compagnie française des Indes orientales (CFIO) et la Compagnie anglaise des Indes orientales (CAIO) s’aggravent.

Dupleix se heurte aux Anglais qui sentent leurs positions menacées et soutiennent eux aussi de leurs côtés des princes indiens rivaux. Il s’ensuit une guerre non déclarée qui dure jusqu’en 1754 et mobilise de plus en plus de moyens, au point que la Compagnie des Indes, déjà ébranlée par les dépenses du conflit précédent, finit par être déficitaire.

Les actionnaires de cette dernière, soucieux de leurs intérêts commerciaux, décident de désavouer Dupleix et de le rappeler en France à la faveur d’un échec militaire sans grande conséquence, mais savamment orchestré par la compagnie anglaise. Dupleix quitte l’Inde le 14 octobre 1754 emportant avec lui ses rêves d’une Inde française. Le ministre de Louis XV, Machault, est le principal responsable de ce renvoi qui a pour but de tenter d’amadouer Londres et d’éviter un conflit.

La neutralisation de Dupleix est l’un des facteurs qui va permettre ensuite aux Anglais de lancer la guerre de sept ans, laquelle leur fera obtenir le reste de l’empire colonial français.

Son remplaçant, le commissaire spécial Charles Godeheu est chargé de traiter avec les Britanniques.

Le 26 décembre 1754, il signe avec eux un traité par lequel il abandonne les conquêtes de Dupleix, ce qui est conforme à la vision purement commerciale de la compagnie, mais qui laisse le champ libre aux Anglais qui étendent leur influence en Inde à la place des Français.

La guerre reprend assez rapidement. Les forces françaises commencent par remporter quelques victoires en 1758, mais après plusieurs combats, à bout de force, elles capitulent le 16 janvier 1761. Convoitée par les troupes anglaises, jalousée par les marchands des autres comptoirs de la Compagnie française des Indes qui l’abandonnent, Pondichéry est ravagée par les flammes britanniques de fond en comble par le gouverneur Pigott. La ville est entièrement rasée.

La France ne récupère son comptoir qu’en 1765, après la signature du Traité de Paris de 1763. La ville, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, se relève très lentement. Tout est à reconstruire.

En 1778, lorsque la guerre reprend entre la France et l’Angleterre (Guerre d’indépendance américaine), les fortifications ne sont pas encore totalement reconstruites.

Le 10 août 1778, après un combat indécis, les forces françaises se replient laissant la victoire aux Anglais et Pondichéry est conduite à la capitulation le 17 octobre 1778 malgré la défense énergique du gouverneur de Bellecombe. La ville est pillée une nouvelle fois puis à nouveau abandonnée en 1781.

Le traité de Paris de 1783 rend nombre de places françaises qui furent cédées aux Britanniques au cours des conflits qui virent s’affronter la France et la Grande-Bretagne en Inde.

En août 1793 et jusqu’en 1814 (pendant les guerres révolutionnaires et napoléoniennes), Pondichéry tombe une fois de plus aux mains des Anglais et toute construction reste au point mort.

Un recensement poussé des Français en Inde est effectué par les Anglais en 1796. Il débouche sur une déportation tragique vers la France, de nombreux Français, par le vaisseau « Le Triton ».

Les Français récupèrent le contrôle total de Pondichéry seulement en 1816, sans jamais cependant y retrouver la gloire de jadis, avec interdiction d’y posséder fortification et garnison (police seule autorisée).

Au XIXe siècle, la ville apparait comme une enclave française dans un pays désormais entièrement dominé par les Britanniques. Elle n’a plus d’importance militaire, mais connait un bon développement économique. Beaucoup de bâtiments ont été érigés au cours du XIXe siècle marqué par l’arrivée de l’eau courante et les liaisons de chemin de fer avec les colonies britanniques.

Pondichéry sert d’escale vers l’Indochine où se focalise l’intérêt de la France en Asie pendant le XIXe siècle.

A partir de 1848 et suite au traité de 1783, les droits de la France sont confirmés et cette dernière administre directement les habitants français de l’Inde : un gouverneur, un député et un sénateur y représentant l’État. Tous les habitants des comptoirs sont déclarés citoyens français, à la faveur de la Révolution de 1848 et de l’abolition de l’esclavage.

Pondichéry et les autres comptoirs sont donc représentés au Parlement français sous la Troisième République.

Une longue et difficile récupération des comptoirs français par l’Union indienne (1946-1956) s’engage.

En juillet 1940, les comptoirs se rallient au général de Gaulle, mais doivent accepter d’être intégrés dans une union douanière avec l’Inde britannique.

Alors que l’Inde se prépare à l’indépendance, les comptoirs français, peuplés d’environ 300 000 habitants, deviennent le 27 octobre 1946 un territoire d’outre-mer avec un statut particulier : ils sont représentés par un député et deux conseillers de la République. La nouvelle assemblée représentative locale ne tarde pas à s’élever contre les fonctionnaires métropolitains et à demander la fusion avec l’Inde nationale.

De son côté, l’Union indienne, devenue indépendante le 15 août 1947, réclame le retour des comptoirs coloniaux français mais rejette leur transformation en villes libres. L’Union indienne désire que ces villes soient indiennes, c’est-à-dire sous contrôle politique indien.

Les relations avec la France se tendent encore lorsque le ministre Marius Moutet chargé du dossier, déclare que les « établissements de l’Inde sont partie intégrante de la République et [que] l’on ne peut admettre, même à échéance très lointaine, l’éventualité d’un rattachement avec l’Inde. »

Mais la France, déjà engagée dans une guerre en Indochine, ne peut se permettre une crise majeure avec l’Inde, ce qui pousse le ministre des affaires étrangères, Georges Bidault, à faire prévaloir la négociation.

Le 28 juin 1948, la France s’engage à restituer les comptoirs à l’Inde après référendum dans chacun d’entre eux. Chandernagor, située dans la banlieue de Calcutta organise immédiatement celui-ci, ce qui aboutit à la cession de la ville à l’Inde dès août 1949. La situation est plus compliquée dans les autres comptoirs, car le gouvernement indien met en place un blocus douanier et policier qui interdit toute relation entre les différents comptoirs. Le gouvernement indien durcit encore sa position en exigeant la cession pure et simple des comptoirs, ce que le gouvernement français refuse par crainte d’un effet de contamination sur l’Indochine.

Le blocage dure de 1952 à 1954 alors que la situation se dégrade, puisque le parti socialiste local se transforme en Congrès de la libération et constitue un gouvernement provisoire de l’Inde française libérée.

Les nationalistes indiens récupèrent Yanaon le 13 juin 1954 et Mahé le 16 juillet alors que Pondichéry « résiste » encore grâce à l’envoi par le gouvernement Laniel de 50 gardes mobiles, ce qui provoque une très vive protestation de l’Inde.

Le nouveau gouvernement français de Pierre Mendès France tente de sauver la face : le référendum rejeté par l’Inde est remplacé par une consultation des conseillers municipaux qui votent le rattachement à l’Inde par 170 voix contre 8. Ce vote est complété par un accord franco-indien, non publié au Journal Officiel, qui prévoit la prise en charge de l’administration des comptoirs par le gouvernement indien. Ce vote est suivi d’un traité signé le 28 mai 1956 qui entérine la cession de souveraineté.

Le gouvernement du général de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, fait patienter l’Inde jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie pour faire ratifier le traité par le Parlement (août 1962).

Pendant une période de six mois, les habitants des comptoirs ont la faculté d’opter pour la nationalité indienne ou française, selon leur domiciliation au moment du transfert, et suivant les modalités du traité, ou de ne rien faire ce qui entraîne la perte de l’ancienne nationalité.

Trois siècles de présence française s’achèvent ainsi après une longue période de transition vers l’indépendance. L’Union indienne devenue officiellement indépendante en 1947 aura mis presque dix ans pour récupérer cette petite enclave française.

L’historien Charles-Robert Ageron (historien spécialiste de la décolonisation) jugeait sévèrement cette longue période de transition vers l’indépendance : « les établissements français, qui auraient pu constituer des plates-formes naturelles d’expansion culturelle et commerciale, furent liquidés sans compensation, au terme d’un combat retardateur imposé par l’incapacité des gouvernements à tourner la page. »

Aujourd’hui, Pondichéry reste une ville à part dans le vaste paysage indien. Les traces du passé demeurent toujours visibles : le français côtoie le tamoul sur les pancartes des rues ; les gendarmes portent haut leur képi rouge ; le lycée français, avec ses 1300 élèves est le plus important des établissements de cette région ; une boulangerie fabriquant des baguettes et des chocolatines fournit chaque jour les Franco-pondichériens, et il n’est pas rare de trouver quelqu’un qui, dans la rue, salue les Français de passage d’un « bonjour messieurs-dames ! ».

Remerciement aux collectionneurs passionnés pour les illustrations.
Monnaies et Détections, n°82, juin-juillet, « La monnaie des comptoirs de l’Inde française (Pondichéry), 1ère partie », pp. 36-41
Monnaies et Détections, n°84, octobre-novembre, « La monnaie des comptoirs de l’Inde française (Pondichéry), 2nde partie », pp. 30-33
Numibec, n°3, janvier 2016, « La monnaie des comptoirs de l’Inde française (Pondichéry) », p. 32-49