Les origines des monnaies de l’empire romain

Le titre aurait pu être « Les origines de la monnaie », tout simplement, mais mon but étant de faire une série d’articles sur les monnaies de l’empire romain, et plus spécifiquement de Auguste, le premier empereur (27 avant J.-C. – 14 après J.-C.) jusqu’au  début du 4e siècle après J.-C., je vais tenter de vous faire connaître non seulement les moyens d’échange et monnayages à l’origine des monnaies tels que nous les connaissons, mais aussi comment le système monétaire de l’empire romain a été façonné à partir d’origines totalement indépendantes de celles des autres monnayages, bien que ses derniers l’aient grandement influencé.

Une pièce de monnaie peut être définie comme étant un morceau de métal précieux frappé et portant une marque, un type ou une inscription indiquant qu’elle a été émise par une autorité qui en garantit son poids et sa pureté. Des traces de moyens d’échange plus primitifs qui ont précédé les monnaies telles qu’on les connaît aujourd’hui ont aussi survécu aux ravages du temps. Le troc, qui avait lieu lorsqu’une nécessité disponible était échangée par son propriétaire contre une autre nécessité dont il avait besoin, devenait souvent difficile quand il n’était pas si aisé de fournir la marchandise immédiatement : Bien des problèmes pouvaient survenir.

C’est probablement la raison qui a poussé les gens de l’Antiquité à se servir de moyens d’échange tels que des bovins, des moutons et des instruments de boucherie qui devinrent bientôt – le bétail surtout – des standards de valeur. Par exemple, au 5e siècle avant J.-C les romains devaient payer leurs amendes (lire peines pécuniaires édictées par la loi) en tête de bétail. Le mot « pécuniaire » vient du mot latin « pecus » qui signifie troupeau ou bétail et le mot français « salaire » vient du latin « salarium » (ration de sel), ce qui laisse supposer que le sel était probablement aussi un autre standard de moyen d’échange.

La transition vers une société d’agriculture de plus en plus florissante, avec les nombreux produits de consommation qu’elle engendrait, et par le fait même, les besoins qu’elle créait, a amené les membres des communautés à réfléchir sur des moyens d’échange plus commode que le bétail, qui n’était pas très pratique. Le besoin de numéraire (de « numerare », compter) s’est vite fait sentir. Rome, dont la date de fondation se situe entre 754 et 752 avant J.-C., devint la puissance dominante du centre de l’Italie au cours du 4e siècle avant J.-C et fut contrainte de trouver le moyen de faciliter les échanges. Abondant en Italie centrale, le bronze que les romains utilisaient à d’autres fins depuis longtemps devint l’étalon de référence et commença à être utilisé comme méthode de paiement dans les échanges commerciaux.

Au début, des morceaux de bronze irréguliers et sans forme précise (« AEs rude ») étaient coulés dans ce but. Par la suite, vers 335 avant J.-C., ils coulaient des barres rectangulaires ou lingots, qu’ils échangeaient d’après leur poids. Environ un demi-siècle plus tard – probablement sous l’influence des monnaies grecques, faites en argent et inventées depuis des siècles déjà, vers 650 avant l’ère chrétienne – ces barres furent remplacées par des séries de monnaies massives dont le nom pourrait être traduit par gros bronze (« AEs grave »). Leur épaisseur mesurant presque autant que leur diamètre, et coulées, elles aussi, en raison de leurs dimensions, elles n’étaient pas très commodes à transporter car la plus grosse pièce, l’as libral, comme son nom l’indique, pesait effectivement une livre romaine, soit 324,72 grammes.

Comme vous le constatez, les monnaies romaines sont apparues assez tardivement et ont une tradition monétaire entièrement indépendante des autres monnayages, le métal et la manufacture étant très différents. Ces monnaies, si on peut les appeler ainsi, portaient seulement des motifs simples. L’avers est au type de Janus, le dieu dont les deux visages opposés symbolisent le début et la fin de l’année, nous permet de penser que janvier, le premier mois de l’année n’a pas été nommé ainsi par hasard ! Au revers se trouve une proue de navire, symbole de puissance sur les mers. On y ajoutait des traits verticaux pour indiquer les unités en livres et des globules pour les unités en onces. Il est aisé de comprendre d’où viennent les unités de mesure de poids en livres (abréviation lb.) et en onces lorsqu’on constate qu’elles puisent leurs sources dans  les mots latins « libra » et « uncia ».

La livre romaine se divisait en 12 onces – sans doute par commodité car malgré sa petitesse ce nombre est divisible par plusieurs facteurs – et il fut très facile de créer des subdivisions sans obliger des calculs compliqués. L’as libral, l’unité à partir de laquelle le système monétaire romain va se développer était la monnaie étalon. Les dénominations de cet imposant monnayage étaient des multiples ou des fractions de l’as libral. Un dupondius valait 2 as, le tressis ou tripondius valait 3 as, le quincussis pour 5 as et le decussis quant à lui, 10 as. Les divisionnaires se répartissent comme suit : le dodrans (3/4 de livre ou 9 onces), le bes (2/3 de livre ou 8 onces), le semis (1/2 livre ou 6 onces), le triens (1/3 de livre ou 4 onces), le quadrans (1/4 de livre ou 3 onces), le sextans (1/6e  de livre ou 2 onces) et l’uncia, 1/12e de livre ou 1 once. Pour compléter le tableau ajoutons la semuncia (1/2 once) et le quartuncia ou quart d’once.

Quelques-unes une de ces dénominations telles que le dupondius (2 as), l’as, et le quadrans (1/4 d’as) seront conservés pendant environ 5 siècles, soit plus de 2 siècles après le début de l’empire pour les monnaies de cuivre, de bronze ou de laiton, bien que, comme nous allons le voir, le poids de l’as va « fondre » jusqu’à ne peser que 1/30e de livre sous Auguste. Semi-libral (au poids d’une demi livre) avant 211 – car il avait commencé à déprécier au début de la seconde guerre Punique (vers 221–201 avant J.-C.) – l’as poursuit sa dégringolade par dévaluations successives et très vite, à cause de cette guerre contre Carthage, son poids va diminuer pour n’être qu’oncial (au poids d’une once) à la fin des guerres Puniques. Il sera stabilisé plus tard au cours du 2e siècle avant J.-C. sur l’étalon semi-oncial (1/2 once ou 1/24e de livre) avant que Auguste, lors de sa réforme du monnayage le fit passer d’une taille de 1/24e de livre à 1/30e de livre pour un poids théorique de 10.824 g.

Il est très intéressant de pouvoir calculer le poids théorique des pièces. Cela est possible grâce au grand nombre de spécimens survivants et à la connaissance du poids de la livre romaine mentionnée plus haut à 324,72 g. Je me demandais comment les Européens pouvaient connaître cette valeur de façon aussi précise. L’explication pourrait bien se trouver dans le fait que La livre romaine qui fut introduite en Gaule resta en usage en France jusqu’à Charlemagne, roi des Francs (768–814) et empereur d’occident (800–814) qui fit passer la livre mérovingienne de 325,63 g. à 407,94 g. Les documents traitant de ce changement doivent contenir de précieux renseignements car la précision de ces données est tout à fait remarquable.

Au milieu du 3e siècle avant J.-C., la commodité plus grande de l’argent avait enfin été constatée et les didrachms, les plus anciennes monnaies d’argent romaines, furent fabriquées sur le modèle des monnaies grecques de cette époque pour circuler dans les régions ou ces monnaies étaient utilisées. L’usage de l’argent grandit et après la première guerre Punique (265–241 avant J.-C.) il devint le métal le plus utilisé chez les romains.

Réorganisé en 211 avant J.-C., le système monétaire romain connaît un grand changement : les pièces ne sont plus coulées mais frappées. Le denier, pièce d’argent d’environ 18 mm de diamètre est créé avec un titre de 95% et une taille à 1/72e de livre, pour un poids théorique de 4.51 g. Celui-ci devient sans contredit la pièce maîtresse du monnayage. On crée aussi le victoriat (16 mm de diamètre), de même métal et titre mais taillé au 1/96e de livre pour un poids théorique de 3.38 g. Il pèse ¾ de denier ou 3 scrupules au lieu de 4 (1 scrupule = 1,1275 g.). Le quinaire, en argent lui aussi vaut la moitié d’un denier (1/144e de livre) et pèse 2.26 g. Le denier connais très tôt une petite dévaluation peu après 207 avant J.-C., passant d’une taille de 1/72e à 1/82e de livre, nous amenant à calculer un poids théorique de 3.96 g.

En 136 avant J.-C. le denier, qui valait 10 as depuis sa création, est augmenté à 16 as sans aucune altération de poids ni de titre ! Vers 100 avant J.-C., après une période durant laquelle les deux valeurs sont en conflit, celle de 16 as l’emporte. Cela n’est rien comparé à ce qui va suivre. Dès 122 avant J.-C, en partie à cause de, l’établissement de nombreuses communautés sur des nouvelles terres, mais aussi en raison du nombre croissant de colonies étrangères, d’importantes émissions de monnaies avaient été nécessaires. Pour pallier la demande, le Sénat, qui contrôlait le monnayage, avait commencé à frapper des pièces de moins bon aloi – et même des deniers plaqués – et ce parmi celles de bonne qualité…

Cette pratique, très répandue durant la guerre sociale de 91–89 avant J.-C. (conflit entre Rome et ses alliés italiens) amena la confusion et eût pour résultat d’engendrer l’inflation car personne ne pouvait dire ce qu’il possédait réellement et la confiance du public fut gravement ébranlée. En 87 avant J.-C. l’État se déclarait lui-même en faillite et ordonnait que toutes les dettes soient payées au quart de la valeur. Il semble que tout rentra dans l’ordre par la suite, le denier étant frappé de nouveau selon les normes. Hormis ce désastreux épisode du dernier siècle de la République (vers 509–27 avant J.-C.) le denier n’a été altéré d’aucune façon avant que Auguste ne diminue le titre des monnaies d’argent. Le denier et le quinaire, qui conservèrent leur poids, seront les principales pièces d’argent de l’empire jusque sous Gordien III (238–244).

Sources:

Michel Prieur et Laurent Schmitt – Monnaies XIII. Paris, 2001.

Encyclopedia Britannica. Chicago, 1961.

Grand Larousse Encyclopédique. Paris, 1960.

Nouvelle Encyclopédie du Monde. Paris, 1962.

Christine Masson – Les Monnaies. Paris, 1977.

Philip Grieson – Monnaies et Monnayages, Paris 1975.

Burton Hobson – Je collectionne les monnaies, Montréal, 1983.